La Colombie n’a plus peur

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Un soulèvement national continue de faire face à la violence étatique

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Après des décennies de conflits armés et de violences paramilitaires, la Colombie a vu les mouvements de protestation revenir en force au cours de ces dernières années. Les manifestations énergiques de la semaine dernière dépassent même les points culminants du soulèvement national de novembre et décembre 2019. En réponse, le gouvernement le plus lourdement armé d’Amérique latine a mené une répression brutale.

La pandémie liée au COVID-19 et ses conséquences sociales et économiques ont fortement touché la Colombie. Le pays atteint un point de rupture alors que la classe dirigeante tente d’extraire les dernières gouttes de profit d’une population qui souffre déjà et qui est tenue en respect par une violence policière intense. Bien que ces conditions soient particulièrement extrêmes, elles ne sont pas propres à la Colombie – elles ressemblent à des situations similaires que l’on retrouve notamment en Grèce, au Brésil et dans d’autres régions du monde. Il ne s’agit pas de coïncidences, mais de manifestations parallèles d’un phénomène global. Partout, la pandémie a intensifié les disparités en matière de richesse, de pouvoir et d’accès aux moyens de subsistance, tout en servant de prétexte à une répression étatique accrue. En apprenant de celles et ceux qui sont confronté·e·s à la violence étatique et paramilitaire en Amérique latine – dont une grande partie est soutenue et dirigée par les États-Unis et d’autres gouvernements et institutions capitalistes – et en leur témoignant notre solidarité, nous nous confrontons aux mêmes forces mondiales qui menacent notre propre liberté et notre bien-être.

Depuis la rédaction de ce texte, le président colombien Ivan Duque a fait une déclaration le dimanche 2 mai demandant au Congrès de retirer le projet de réforme fiscale qui avait suscité des protestations dans tout le pays. Cela rappelle la victoire qu’un mouvement social similaire a obtenue en Équateur en octobre 2019, inspirant des soulèvements au Chili et ailleurs dans le monde. Cependant, à ce jour, les protestations en Colombie se poursuivent – en particulier dans la ville de Cali, qui est sans aucun doute l’épicentre des manifestations – parce que cette loi ratée n’est que la mesure la plus visible d’un ensemble de réformes qui comprend également la privatisation des soins de santé.

Nous présentons ici la traduction d’un rapport de Medios Libres Cali, une organisation médiatique indépendante de la ville de Cali. Une version adaptée du texte original a été publiée en trois parties par Avispa Midia. Pour en savoir plus sur la situation en Colombie, nous vous recommandons notre article sur le contexte du soulèvement de masse contre les violences policières qui a eu lieu en septembre dernier.

Toutes les photos, à l’exception de la première, sont de Medios Libres Cali.

« Le narco-État nous tue. »


Le peuple a été entravé, mais il continue d’avancer

Malgré les accords de paix signés par le gouvernement et les FARC-EP (Forces armées révolutionnaires de Colombie – Armée du peuple) en 2016, qui étaient censés mettre fin au conflit armé en Colombie, le paramilitarisme et le narcotrafic continuent d’alimenter la guerre. El Centro Democrático (le parti de l’ex-président Álvaro Uribe et de l’actuel président Iván Duque) est responsable de la poursuite de la guerre et concentre son pouvoir sur l’affirmation du contrôle politique et financier du pays.

En février 2021, 252 anciens guérilleros des FARC qui s’étaient démobilisés pour signer un accord de paix ont été assassinés. Aujourd’hui, quatre ans après la signature de cet accord de paix, le gouvernement a mis en œuvre moins de 75 % de l’accord, et n’a pris aucune mesure concernant les éléments substantiels de ce dernier qui étaient censés s’attaquer aux causes structurelles du conflit, comme l’accès à la terre, sa redistribution et sa possession – enjeu qui est historiquement l’une des causes de la profonde inégalité dans le pays.

Cette inégalité s’est intensifiée avec l’arrivée de la pandémie, montrant clairement l’inefficacité, l’incapacité et le désintérêt de l’État pour le bien-être de sa population. La décision tardive de fermer les aéroports a considérablement accéléré la propagation précoce du virus. Aujourd’hui, alors que la Colombie connaît son troisième pic de COVID, la nation est confrontée à une vague encore plus grave de violence, de pauvreté et de corruption, dont la faim est l’un des pires problèmes. La guerre baigne notre territoire dans le sang. Au cours des premiers mois de 2021, au moins 57 participant·e·s influent·e·s au sein des mouvements sociaux ont été assassiné·e·s, dont 20 autochtones, la plupart originaires du département du Cauca. En outre, 158 féminicides ont été commis au cours des trois premiers mois de l’année et plusieurs autres massacres ont été perpétrés.

Un·e jeune combattant·e se protège derrière un bouclier lors des affrontements de rue.

La Colombie est le pays des exécutions extrajudiciaires. Un rapport de la Juridiction Spéciale pour la Paix (JEP) a fait état de 6 402 meurtres illégaux de civils entre 2002 et 2008, tous présentés de manière malhonnête par l’armée et la police comme individus « tués au combat ». Ces meurtres ont atteint un pic en 2007 et 2008, pendant la présidence d’Álvaro Uribe Véles. Ce chiffre se rapproche du nombre total de victimes lors de la dictature militaire de Jorge Rafael Videla en Argentine ; il représente plus du double du nombre officiel de victimes exécutées ou disparues sous Augusto Pinochet au Chili. En Colombie, les gens ne se demandent plus qui a donné les ordres pour ces meurtres. Ils et elles savent que les ordres venaient d’Uribe, et ils et elles n’ont plus peur de le dire haut et fort. La Colombie n’a plus peur.

Depuis l’accord de paix, le gouvernement d’Iván Duque (un protégé d’Uribe) cherche à saper la paix par tous les moyens possibles, et il y parvient. Selon l’INDEPAZ (Institut d’études pour le développement et la paix), 124 massacres ont eu lieu en 2020 et 2021, impliquant plus de 300 victimes au total.

Plus de 1 000 militant·e·s ont été assassiné·e·s en Colombie depuis la signature de l’accord. Vivre dans ce pays est une lutte constante contre les politiques d’austérité d’un gouvernement dont la seule réponse aux besoins de la population est un coup de pied au visage. Parallèlement aux programmes économiques qui favorisent la misère et les inégalités, des programmes politiques génocidaires visent à exterminer toute identité collective extérieure ou opposée à l’ordre régnant.

Un morceau de pain à moitié mangé et une arme improvisée montrent la dureté des conditions de vie en Colombie – et la seule issue possible à cette situation.

Le COVID-19 est le cadet de nos soucis

Au milieu d’un troisième pic d’infections liées au COVID-19, des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour participer à la grève générale du 28 avril. Qu’est-ce qui pourrait pousser les gens à surmonter leur peur du virus et à occuper les rues face au gouvernement le plus sanguinaire d’Amérique latine ?

La gestion corrompue et négligente de la crise générée par le COVID-19 par l’administration Duque a précipité le pays dans une spirale d’appauvrissement croissant et exponentiel. Selon les chiffres du gouvernement, en 2020, l’équivalent de 11,5 millions de dollars US (soit environ 9,5 millions d’euros) ont été investis dans les infrastructures hospitalières et l’aide humanitaire sous forme de transferts économiques ; pourtant, des milliers d’accusations de corruption ont été formulées concernant la gestion de ces politiques. Pendant ce temps, le gouvernement de Duque n’a pas réussi à mettre en œuvre une proposition de revenu de base signée par 4 000 personnes, dont au moins 50 membres du parlement, afin de soutenir les ménages qui en ont le plus besoin. Jour après jour, ces personnes doivent sortir dans la rue et risquent de s’exposer au virus pour survivre.

« Si le COVID ne nous tue pas, ce gouvernement pervers le fera. »

Au contraire, le gouvernement s’est concentré sur le soutien aux banques, en garantissant leur liquidité financière grâce à des fonds transférés directement du Fonds d’atténuation des urgences (FOME – Fondo de Mitigación de Emergencias) créé à la suite de la pandémie. Les experts ont déclaré que, uniquement grâce aux transferts connus sous le nom de « revenu de solidarité », les banques empocheraient au moins 6,3 millions de dollars US (soit un peu plus de 5 millions d’euros) prélevés directement sur les fonds du trésor public. Cependant, ce « revenu de solidarité » n’est jamais arrivé dans les mains des personnes qui en ont réellement besoin. En Colombie, même pendant la pandémie, nous continuons à voir la grande majorité des gens s’appauvrir tandis que les riches s’enrichissent.

Rien de tout cela n’est nouveau. Depuis des décennies, la classe politique regroupant conservateurs et politiciens de droite se présente comme les intermédiaires entre le pays et l’économie mondiale hégémonique. Ils et elles maintiennent systématiquement cette position en exterminant les peuples, en volant les terres et en dominant la majorité des travailleurs et travailleuses. Il s’agit d’une dictature déguisée, avec suffisamment d’armes et de ressources pour maintenir le pays enchaîné pendant encore de nombreuses décennies.

Le soulèvement populaire qui a lieu aujourd’hui n’est pas spontané. Il s’agit plutôt d’une réaction à des années et des années de domination et d’injustice. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase et a entraîné les protestations d’avril dernier a été la proposition de la « loi sur le financement de la solidarité », une réforme fiscale qui appauvrira la majorité de la population.

Sous prétexte de réduire le déficit qu’elle a créé avec la dernière réforme, l’administration de Duque a eu la terrible idée d’augmenter le coût de la vie dans l’un des pays les plus inégalitaires au monde. Il est choquant qu’en pleine crise, le gouvernement colombien décide d’augmenter les taxes alimentaires pour les classes inférieures et moyennes. Il est absurde d’augmenter le prix des denrées alimentaires lorsque la population souffre de faim. Il est encore plus scandaleux que les réformes proposées ne nuisent pas seulement aux gens ordinaires, mais enrichissent encore davantage les monopoles les plus riches du pays.

Depuis la grève générale de 2019, l’utilisation de boucliers pour se défendre contre les attaques de la police lors des affrontements de rue est devenu un élément tactique crucial pour les manifestant·e·s.

La réforme fiscale peut nous ruiner, mais la réforme de la santé nous tuera

Les décisions qui déterminent la direction du pays et l’avenir de millions de personnes sont prises uniquement par les élites politiques, militaires et économiques. Elles adoptent successivement des lois en faveur des empires bancaires ainsi que ceux liés à l’élevage ; des lois en faveur des intérêts financiers nord-américains, asiatiques et européens ; des lois pour s’accorder l’immunité après avoir volé les ressources d’autres personnes ; des lois pour se maintenir au pouvoir tant au niveau local que national. Ces lois sont approuvées à huis clos, sans aucun débat public. L’un des exemples les plus évidents de ce que nous énonçons est la réforme juridique qui apportera des changements au système de santé colombien. Introduite le 16 mars 2021, elle n’a toujours pas été adoptée par le Congrès, mais ses partisans au sein du corps législatif ont mené des actions secrètes dans la nuit du 26 avril pour tenter de la faire passer en force alors que l’attention était fixée sur la réforme fiscale.

Cette réforme de la santé pourrait être pire que le COVID-19 lui-même. Essentiellement, elle vise à mettre en œuvre la privatisation complète du système de santé colombien. Nous devrons payer la totalité des frais de couverture santé pour toute forme de pathologie, ou alors l’EPS (l’assurance maladie publique colombienne) nous refusera l’accès aux soins médicaux. Les personnes qui ont besoin de soins médicaux par l’intermédiaire de l’EPS devront prouver qu’elles prennent bien soin d’elles-mêmes et qu’elles n’ont rien fait de « mal » pour causer leur maladie ou leur blessure ; si leur assureur peut prouver le contraire, il pourra leur refuser la couverture des frais médicaux, les obligeant à payer de leur poche. Ce programme vise également à mettre fin aux programmes de vaccination publics municipaux – au plus fort de la pandémie – et à donner aux fournisseurs d’assurance maladie le pouvoir de décider comment offrir ces services et à qui.

Cette réforme permettrait aux multinationales et aux sociétés pharmaceutiques transnationales d’imposer les prix et les règles du marché des soins de santé en Colombie. Elle mettrait fin aux réductions tarifaires en termes d’assurance maladie pour les personnes exerçant des professions dans les secteurs de l’enseignement, de l’industrie et dans les forces armées. Les hôpitaux devront fournir des résultats dans le cadre d’une proposition horriblement similaire à celle des « résultats » que le gouvernement Uribe exigeait des soldats et qui se sont traduits par plus de 10 000 « faux résultats positifs » – la pratique des exécutions extrajudiciaires avec laquelle le gouvernement et l’armée enlevaient et assassinaient des jeunes gens, puis les présentaient lors de fausses déclarations comme étant des combattant·e·s des FARC-EP afin de remplir leurs quotas.

De même, on estime que la loi actuelle sur la santé, qui a privatisé l’ensemble du système de santé colombien en 1993, a entraîné la mort d’un million de personnes par manque d’attention médicale ou par négligence, faisant encore plus de victimes que le conflit armé.

Cinq jours de mobilisation, de protestations et de grève générale

Dès le début de la pandémie, les plus pauvres ont dû faire un choix cruel entre rester chez elles ou chez eux pour éviter le virus et travailler pour survivre. Quelques semaines après le début de la pandémie, des mouchoirs rouges ont commencé à apparaître aux fenêtres des maisons des quartiers marginalisés, signifiant que les habitants souffraient de la faim. Très vite, on pouvait voir ces mouchoirs par milliers.

C’est pourquoi, un an après le début de la quarantaine, lorsque le gouvernement a proposé une réforme fiscale qui allait frapper de plein fouet les classes inférieures et moyennes, les gens n’ont pas hésité à descendre dans la rue. Dans ce moment de crise, il n’y avait plus de choix, seulement de la rage et de la frustration. Il était temps de mettre un terme au « bon » fonctionnement de la Colombie pour défendre la dignité humaine.

« La corruption et l’oppression sont détruites par la rébellion. »

Il n’y avait pas de leaders, seulement une date proposée par les syndicats – le 28 avril – et cela a suffi pour que les familles, les ami·e·s, les voisin·ne·s et les quartiers s’auto-organisent via les réseaux sociaux. Les gens se sont rassemblés dans les rues en un grand flot de communautés marchant ensemble vers les principaux points de rassemblement et les différentes entrées de la ville. Cette stratégie était un moyen efficace de rendre la grève réelle et effective, en s’assurant que personne n’entre ou ne sorte de la ville.

Le premier jour a été marqué par des cris, des discours, des chants et des danses dans la rue. C’est ainsi que nous sommes à Cali : heureux·ses et courageux·ses, dignes et festifs·ives, danseurs·euses et guerriers·ères. Les gens sont rentrés chez eux ce soir-là, fatigués mais avec le sourire de celles et ceux qui ont accompli quelque chose. Les jours suivants, les blocages se sont multipliés et le nombre de participant·e·s aux manifestations a augmenté, manifestant·e·s inspiré·e·s par des exemples de résistance pour surmonter la peur de la répression.

Mais de son côté, le gouvernement a lui aussi de l’expérience, expérience particulièrement violente et paramilitaire. Il a commencé à arrêter, tuer, kidnapper, faire disparaître et violer des jeunes gens. Cela n’a fait qu’augmenter l’intensité de la résistance dans les rues.

Alors que des mesures restrictives étaient encore en place dans certaines villes colombiennes, le gouvernement a décrété le 28 avril un couvre-feu à partir de 20 heures. Cette tentative avait pour objectif de briser la continuité de la mobilisation. Le lendemain matin, à 10 heures, les autorités avaient déjà apporté des modifications à cette nouvelle mesure pour répondre au mécontentement qui se manifestait alors dans les rues, utilisant ainsi le prétexte de vouloir éviter les situations de foule pour faire pression sur les gens par le biais du couvre-feu.

Le 30 avril, troisième jour de grève, les autorités sont passées à une stratégie de terreur d’État – la même terreur qu’elles ont utilisée à d’autres occasions pour paralyser les communautés. Les mesures restrictives prétendument rendues nécessaires par la pandémie ont servi de prétexte aux services de police pour procéder à des arrestations massives et illégales sous le couvert d’arrêtés municipaux, ainsi qu’à de graves abus d’autorité, se traduisant notamment par des meurtres ; par l’usage excessif de la force ; par des menaces ; par des arrestations irrégulières ; par la destruction des biens des manifestant·e·s et par des abus sexuels.

Néanmoins, le 1er mai, la participation aux manifestations a dépassé toutes les attentes et de nombreuses autres villes se sont jointes au mouvement. Ce jour-là, des manifestations avaient lieu dans plus de 500 villes du pays. Les souvenirs d’autres luttes difficiles, transmis par nos parents et nos grands-parents, nous rappelle que lorsque le peuple s’unit, il n’y a pas de pouvoir plus transformateur.

Le 1er mai à 23 heures, l’organisation de défense des droits de l’homme Temblores a reçu, par l’intermédiaire de sa plateforme de plaintes pour violences et abus policiers « GRITA », des rapports faisant état de 940 plaintes pour violences policières ; de 92 victimes de violences physiques commises par des policiers ; de 21 personnes assassinées par les forces de l’ordre ; de quatre victimes d’abus sexuels aux mains de policiers et de 12 personnes blessées par balle par la police.

Les manifestant·e·s sont massivement descendu·e·s dans toutes les rues de Colombie.

Cali: capitale de la résistance

La ville de Cali s’est lancée corps et âmes dans la protestation, s’organisant de manière spontanée pour permettre aux personnes de se rencontrer. Les gens ont afflué sur les principaux lieux de rassemblement avec une belle créativité. La nourriture y est toujours présente – des repas variés et délicieux sont distribués à partir de pots communs. C’est là également que se trouve la ligne de front, ainsi que les autres lignes de soins et de défense tenues par les jeunes en résistance. De nombreux quartiers de la ville ont été rebaptisés : La Loma de la Cruz, “La Colline de la Croix”, s’appelle maintenant La Loma de la Dignidad, “La Colline de la Dignité” ; El Paso del Comercio, “Le Passage du Commerce”, s’appelle maintenant El Paso del Aguante, “Le Passage de l’Endurance”. Le Pont des Mille Jours est devenu le Pont des Mille Luttes et la Porte de la Mer est maintenant dénommée la Porte de la Liberté.

Des barricades ont été érigées et sont défendues dans tout Cali.

Cependant, jour après jour, la répression s’est poursuivie. Faisant écho à la phrase « Je me souviendrai toujours du moment où j’ai jeté une pierre par colère et où le gouvernement répressif a répondu par des balles et des éclats d’obus », les gens ont vécu des journées intenses de résistance en défendant au moins sept blocus permanents dans toute la ville. Les habitant·e·s de Cali ont protesté en grand nombre et avec détermination dès le premier jour des mobilisations. Dans la plupart des lieux de rassemblement, les gens ont été provoqués par les forces de l’ordre, ce qui a conduit à des affrontements entre les manifestant·e·s et la police anti-émeute (ESMAD). Le gouvernement municipal du maire Jorge Iván Ospina a confié la tâche de maintenir l’ordre lors des manifestations au Groupe d’opérations spéciales (GOES) de la police nationale.

Nous présentons ici un aperçu des atrocités commises par la police à Cali lors des différents jours de grève. Ces informations ont été compilées par un certain nombre d’organisations de défense des droits humains.

« Assassins, violeurs. #ESMAD #policias »

#28A – 28 avril 2021

  • Huit personnes ont été grièvement blessées et 50 ont été légèrement blessées par des grenades lacrymogènes et des grenades assourdissantes lancées par l’ESMAD.
  • La police a tiré dans le dos de Marcelo Agredo Inchimad, 17 ans, dans le quartier de Mariano Ramos. Il est décédé à la clinique Valle del Lili.
  • La police a assassiné Jaison García, 13 ans. Il a été admis à l’hôpital Carlos Holmes Trujillo, dans le quartier de República Israel, sans signes vitaux.
  • Six personnes ont été emmenées dans des postes de police et relâchées avec des amendes pour avoir violé le couvre-feu décrété par le maire Jorge Iván Ospina.
  • De nombreuses vidéos prises par des manifestant·e·s ont montré que la police utilisait des armes dites « moins létales » de manière inappropriée1 et utilisait également des armes à feu pour tirer sur les manifestant·e·s.

#29A – 29 avril 2021

  • Des policiers ont assassiné Miguel Ángel Pinto, 23 ans, sur le lieu de rassemblement appelé « Puerto Resistencia ».
  • La police a arrêté 106 manifestant·e·s et les a transféré·e·s dans différents postes de police, où ils et elles ont été battu·e·s, torturé·e·s et dépouillé·e·s de leurs effets personnels et de leur matériel audiovisuel. Au moins 31 disparitions ont été signalées.
  • Un·e manifestant·e de la Calle Quinta a été touché·e à l’œil par une grenade lacrymogène et est gravement blessé·e.
  • La disparition de Michel David Lora, 16 ans, ressortissant vénézuélien, a été signalée. Après avoir été arrêté avec sa mère, Lora a été emmené dans un abri temporaire. Lorsque sa mère est arrivée au poste de police pour le récupérer, on lui a dit que son fils n’était pas là.

« Port de résistance : Contre la réforme. »

#30A – 30 avril 2021

  • Pendant les manifestations, Edwin Villa Escobar, un commerçant, et Einer Alexander Lasso Chará, retraité, ont été assassinés dans le quartier d’El Diamante. Jovita Osorio, une enseignante de maternelle, a été assassinée dans le quartier Paso del Comercio et trois autres personnes non identifiées ont été tuées dans le quartier El Poblado, dans l’est de Cali. Ces incidents ont été filmés.
  • Angely Vivas Retrepo a reçu une balle dans la jambe gauche dans le quartier de Julio Rincón, près du lieu de rassemblement de Calipso. Dans le même temps, deux femmes et un homme ont été blessés dans le quartier de Las Américas. En outre, la police a blessé 105 autres personnes.
  • Deux membres de l’organisation de défense des droits humains Francisco Isaías Cifuente, Daniela Caicedo et José Cuello, ont été arrêtés sur le lieu de rassemblement Sameco. La police a volé les documents et signes distinctifs permettant de les identifier comme faisant partie de l’organisation.
  • La police a emmené 94 personnes dans des postes de police depuis les différents lieux de protestation de la ville. Beaucoup ont été battues et torturées par la police à l’intérieur des commissariats.
  • José Miguel Oband, Diego Alejandro Bolaños et Jhon Haner Muñoz Bolaños auraient disparu.

#1M – 1er mai 2021

À l’heure où nous écrivons ces lignes, aucun rapport répertoriant les atteintes aux droits humains pendant la journée du 1er mai n’a encore été établi, et ce, malgré le nombre important de manifestant·e·s qui ont rejoint une grande partie des différents lieux de rassemblement du centre-ville. Des attaques indiscriminées ont été signalées sur les lieux de protestation de Paso del Aguante, Calipso et Puerto Resistencia. La police a profité de la nuit pour attaquer les points les plus vulnérables des manifestations du 1er mai. Des rapports provenant de toute la ville ont fait état de civils armés tirant dans les quartiers avoisinants ces zones. Cette nuit-là, l’état d’ « Assistance militaire » a été déclaré pour légaliser la militarisation des villes où se poursuivaient la mobilisation et la résistance civile contre la réforme fiscale.

Une jeune famille sur les barricades.

Les outils de l’ennemi : Une réponse militaire à la protestation sociale

Il a été difficile de trouver des informations sur les dépenses militaires auprès de sources officielles. Il semble que les autorités aient l’intention de cacher la vérité sur les dépenses gouvernementales en termes de matériel de guerre. La Colombie dépense actuellement environ 40 trillions de pesos colombiens (soit environ 10,5 milliards de dollars US ou 8,6 milliards d’euros) pour le ministère en charge de la défense chaque année. Le budget militaire est historiquement élevé, car le conflit interne se poursuit et s’intensifie depuis plusieurs décennies maintenant. Malgré les efforts déployés pour établir des pourparlers de paix, le conflit s’est aujourd’hui diversifié et intensifié dans de nombreuses régions du pays, et les dépenses du secteur de la défense représentent désormais environ 11 % des dépenses publiques de la Colombie – un pourcentage élevé pour un pays à l’économie affaiblie. Cela place la Colombie à la 25e place du classement mondial des dépenses publiques dédiées au secteur de la défense, loin devant des pays comme la France (avec 3,3 %), l’Espagne (2,9 %), ou même le Brésil (3,86 %).

L’ESMAD (Escuadrón Móvil Antidisturbios, la brigade mobile anti-émeute), une division de la police nationale colombienne, a été créée en 1999 pour réprimer les mobilisations dans le pays. Elle était censée être une force spéciale temporaire, mais elle existe maintenant depuis plus de 20 ans et s’est renforcée au fil des gouvernements successifs. Aujourd’hui, elle est composée de 3 876 agents et dispose d’un budget de 490 milliards de pesos (soit environ 131 millions de dollars US ou 107,6 millions d’euros). Depuis sa création, la brigade a assassinée au moins 20 civils – meurtres que les autorités décrivent régulièrement comme étant de simples « usages excessifs de la force ».

Aujourd’hui, le gouvernement Duque-Uribe, éloigné du peuple et anticipant un fort mécontentement populaire découlant des mesures susmentionnées, a alloué des millions pour renforcer ses forces de sécurité. Le gouvernement se prépare depuis un certain temps déjà à utiliser la répression pour faire face aux troubles. En mars 2020, au début de la crise sociale et économique provoquée par le COVID-19, il a acheté cinq véhicules blindés pour un montant de 8 milliards de pesos (soit environ 2,1 millions de dollars US ou 1,7 millions d’euros) ainsi que 9,515 milliards de pesos (soit environ 2,5 millions de dollars US ou 2 millions d’euros) de munitions et d’armements pour l’ESMAD. Le budget 2021 a été augmenté de près d’un milliard de pesos. En bref, ce gouvernement répond à la protestation sociale comme s’il était en guerre.

Pourtant, ni l’ESMAD ni la police n’ont réussi à contenir la grève générale. C’est pourquoi le président Duque a déclaré l’installation d’une « Assistance militaire » dans toutes les villes qui en ont besoin – une mesure qui permet d’utiliser des forces militaires pour répondre aux désordres publics et aux catastrophes naturelles. La présence de ces forces armées dans les rues restreint les droits individuels comme si nous étions dans un état de siège. La présence militaire dans les rues augmente la possibilité d’actes de guerre pendant les manifestations, car l’État aborde la situation d’un point de vue militaire.

Une foule affronte l’ESMAD, la police antiémeute colombienne lourdement équipée.

Les rues débordes

Les colombien·ne·s se sont rassemblé·e·s à chaque coin de rue, bloquant et immobilisant toutes les villes. Les quartiers ont pris d’assaut les rues pour rejeter la réforme fiscale sous le slogan « Si nous ne nous unissons pas, nous coulerons. » La Colombie est devenue un fleuve d’individus en colère. Un grand feu d’unité s’est répandu en l’honneur de celles ceux qui ont donné leur vie. Leur perte nous blesse profondément, mais leur mort ne doit pas être vaine. Les voix de tout le pays se font entendre et une multitude de marches ont propagé la voix de la résistance.

La Colombie s’est débarrassée de sa peur. Nous n’avons plus rien à perdre.

¡A PARAR PARA AVANZAR! NOUS FAISONS LA GRÈVE POUR ALLER DE L’AVANT !

« Pour nos morts : une minute de silence et une vie de combat. »

Lecture complémentaire

The Uprising in Colombia: “An Example of What Is to Come”

  1. Note de l’éditeur : Il ne s’agit pas ici de suggérer qu’il existerait une quelconque bonne façon pour la police d’utiliser des armes dites « moins létales »